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  • Photo du rédacteurHenri de Grossouvre

La France de Jean-Pierre Chevènement

Le Figaro avait publié cet article d’Henri de Grossouvre sur Jean-Pierre Chevènement pendant la campagne des élections présidentielles, le 28 octobre 2001.


Le gaullisme est d’une brûlante actualité car l’indépendance de la France n’est pas un rêve ni une vanité mais une nécessité vitale. Soit un pays est maître de ses intérêts vitaux, soit il les confie à un tiers pour qui ils ne sont pas vitaux. L’hégémonie des États-Unis, contre laquelle le général de Gaulle avait lutté, est à présent quasi-totale.


La France abandonne son indépendance énergétique, se prive des moyens de mettre à niveau son armement nucléaire et fait le choix de la supranationalité au profit d’une Union européenne dominée par une Allemagne réunifiée dont le rôle de relais américain en Europe est de plus en plus évident. Avec le projet de loi sur la Corse, la République met le doigt dans l’engrenage du démantèlement qui lui serait fatal.


Aucune puissance n’est en mesure de concurrencer les Américains, la Chine le pourra demain, l’Inde après-demain. La Russie se rétablit péniblement, seule enne ne peut rien. Certes, elle a encore une influence sur des zones où se trouvent d’importantes réserves énergétiques : l’Asie centrale et la Caspienne. C’est pourquoi les États-Unis sont irrités par les accords de coopération mis en place par Poutine avec la Chine (un accord cadre pour 20 ans signé cet été), l’Iran (construction de deux centrales nucléaires, des projets d’oléoducs, des contrats d’armement) et avec l’Inde.


La presse française en a peu parlé. Comme le souligne le général Gallois après Mackinder : « Qui contrôle l’énergie contrôle le monde et détient la clé de sa croissance. » Car, derrière le discours de la croisade pour le monde libre et les droits de l’homme, les États-Unis poursuivent des objectifs de puissance, « L’heureux instinct de combiner la maxime humanitaire avec l’objectif réaliste »(1).


En 1898, Mommsen écrivait à propos de la guerre menée par les États-Unis contre l’Espagne : « Dans ma jeunesse, on s’accordait assez généralement à croire que l’ordre du monde était en voie de constante amélioration (…) Mais on ne s’attendait quand même pas à l’amère déception que cette guerre cause aux amis de la République. L’hypocrisie humanitaire, la violence exercée sur le plus faible, la conduite de la guerre à des fins spéculatives et en vue de l’agiotage escompté, donnent à cette entreprise américaine un caractère plus indigne encore que celui des pires guerres de cabinet (…) (2).


La supériorité américaine durera au moins 5 à 19 ans, avant que la Russie ne se relève et que la Chine ne s’affirme. D’où la nécessité pour les Américains de verrouiller leur avantage dès que possible. Les États-Unis ont transformé l’Otan en instrument politique. Les pays de l’Union européenne abandonnent leur souveraineté au profit d’une institution sans poids vis-à-vis de l’extérieur. L’UE sera dominée par l’Allemagne en concertation étroite avec les États-Unis.


C’est le prix à payer pour la réunification. En 1994, Bill Clinton déclare à Berlin : « Les États-Unis soutiennent fermement le mouvement vers une Europe plus unie et estiment que le leadership de l’Allemagne dans la construction d’une Europe réellement unie est essentiel. » La France sera la première à faire les frais de la promotion de grandes régions transfrontalières devant remplacer les États-nations. La démission de notre continent est aussi liée à sa situation démographique à laquelle on ne pourra bientôt plus remédier.

L’Allemagne perd déjà 100 000 personnes par an. La France jouit d’un peu de retard dans le déclin grâce aux mesures prises par de Gaulle. Elle ne tardera pas à la rattraper. Les autres pays de l’UE et la Russie se trouvent dans des situations analogues. Seule une politique d’inspiration gaullienne pourrait enclencher un redressement de la France et de l’Europe.

Six thèmes principaux sont caractéristiques de la politique du général de Gaulle, le septième étant lié à sa personnalité.

  1. France – États-Unis : la politique étrangère du général visait à favoriser l’émergence d’un monde multipolaire. En 1966 la France sort de l’Otan et le général prononce le discours de Phnom-Penh, « véritable défi à l’égard des États-Unis (3). »

  2. Le soutien de la France aux peuples asservis au sein des instances mondiales.

  3. L’indépendance énergétique. P. Guillaumat est le premier président d’Elf-Erap, son ami A. Giraud préside à l’élaboration de la filière nucléaire.

  4. Défense et dissuasion nucléaire : en octobre 1945, deux mois après Hiroshima, le général de Gaulle crée le Commissariat à l’énergie atomique. Priorité absolue sera donnée à la constitution d’une force de dissuasion.

  5. Rejet de la supranationalité : « (…) nous n’avons jamais consenti pur les six au système dit supranational qui noierait la France dans un ensemble apatride et n’aurait d’autre politique que celle du protecteur d’outre-Océan (4). »

  6. Politique de redressement de la natalité : le 2 mars 1945, avant la fin des combats, le général de Gaulle déclarait : « De quelque façon que nous organisions notre travail national, nos rapports sociaux, notre régime politique, notre sécurité même, s’il est acquis que, décidément, le peuple français ne se multiplie plus, alors la France ne peut plus rien être qu’une grande lumière qui s’éteint. Mais dans ce domaine encore, rien n’est perdu pour peu que nous sachions vouloir. »

  7. Légitimité, charisme et intégrité morale rendaient le général de Gaulle inattaquable.

Jacques Chirac dès son accession au pouvoir a pris les mesures suivantes dans l’indifférence générale : démantèlement de l’usine de Marcoules qui alimentait la chaîne nucléaire ; fermeture du site du Pacifique qui nous interdit toute mise à niveau de notre armement nucléaire (les États-Unis n’envisagent pas de fermer leur site du Nevada) ; l’élimination des armes nucléaires sol-sol. Il a laissé faire le démontage du surgénérateur Superphénix par le gouvernement de L. Jospin.


Les bases de l’indépendance énergétique et de la défense françaises ont été sapées. Jacques Chirac, alors premier ministre, avait en 1987 décidé la suppression des prêts aux jeunes ménages et celle du complément familial de maintenant lorsque la famille passe de 3 à 2 enfants. À Nice, le président Chirac s’est prononcé pour la supranationalité et l’abandon de la souveraineté française. Il a défendu une solution qui imposerait au minimum l’abandon des prérogatives suivantes par les États : monnaie, défense, maintien de l’ordre, question de citoyenneté.


Jean-Pierre Chevènement souhaite redéfinir la relation avec notre allié américain : « la plupart des pays européens se trouvent aujourd’hui dans le sillage des États-Unis par une étrangère mésestimation de ce qu’est l’Europe et son histoire et de ce que sont nos capacités (5). » Il est le seul à mettre en évidence le rôle de relais américain joué par l’Allemagne au détriment de la France. Comme de Gaulle il souhaite un monde multipolaire : « Ou bien voulons-nous que l’Europe devienne à nouveau le grand carrefour du monde, mais d’un monde devenu désormais multipolaire (6). » Il se prononce pour un axe Paris-Berlin-Moscou, seule voie de l’indépendance d’une Europe européenne.


On peut d’ailleurs depuis quelques années à nouveau parler en Allemagne d’amitié et de coopération germano-russe, constante devenue taboue depuis l’établissement après-guerre d’une relation privilégiée des États-Unis avec l’Allemagne. Le président russe redresse son pays et met en place des coopérations avec l’Iran, la Chine et l’Inde. Le moment serait propice à une politique étrangère française audacieuse. Jean-Pierre Chevènement a un projet pour les pays du Sud (Méditerranée, Afrique, Amérique latine).


La politique de coopération avec l’Irak que la France avait menée jusqu’en 1990 était un élément de notre politique énergétique. La participation de la France à la guerre contre l’Irak a renforcé la présence américaine dans le Golfe et épuisé le peu de crédit que nous conservions dans le monde arabe. En 1992, Jean-Pierre Chevènement s’opposait au traité de Maastricht. En septembre 2000, il démissionne du ministère de l’intérieur, refusant « l’engrenage mortel » dans lequel la République serait entraînée.


« La France ne doit pas disparaître », déclarait-il le 4 septembre à Belfort, ville dont on se rappelle la résistance héroïque en 1870. Le 20 août au Médef, il souligne l’urgence d’une politique de redressement de la natalité. Son intégrité morale et sa personnalité le placent au-dessus des débats politiques. Il n’a pas hésité plusieurs fois, avec détermination, à faire passer ses idées avant sa carrière.


À l’heure où les politiques deviennent les exécutants des décideurs financiers et économiques, Jean-Pierre Chevènement est un rebelle. Il est le seul à raisonner en termes de géopolitique, à se donner un recul historique et à avoir une vision pour la France. Il est patriote, intègre, lucide et courageux, caractéristiques que l’on retrouve chez le général de Gaulle. Il en arrive à définir les mêmes priorités. Devant la gravité de la situation peu importent les origines et les étiquettes politiques. Son succès se mesurera à l’aune de sa capacité à rassemblement. Je la crois grande.



Références :

  • In Thomas Mann, Considérations d’un apolitique, Grasset, 1975, page 302.

  • Cité par Thomas Mann, Considérations, page 298.

  • Jean Lacouture, Le Discours de Pnom-Penh, Fondation et Institut Charles de Gaulle.

  • Conférence de presse à l’Élysée du 9 septembre 1968.

  • Conclusion de J.-P. Chevènement au colloque du 21 mai 2000 : « Mondialisation libérale, Europe, États-nations ».

  • Jean-Pierre Chevènement, Le Nouvel Observateur, n°1856, « ce que je reproche à l’Allemagne ».


L'article publié dans la version papier du Figaro

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