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  • Photo du rédacteurHenri de Grossouvre

L'histoire des maires de France en 6 figures : Deferrre, Chaban, Mauroy, Medecin, Chirac et Frèche


Le jeune Jean-Victor Roux, vient de terminer l’Institut National des Etudes Territoriales (INET) et travaille à la Métropole de Nice Côte d’Azur. Il a récemment publié un livre mettant en perspective la fonction de maire à travers cinq personnalités hautes en couleurs qui ont eu le temps et les moyens de marquer leur ville : « Gaston Deferre, marseillais d’adoption », « Jacques Chaban-Delmas, l’ambition d’être moderne » à Bordeaux, « Pierre Mauroy, Rougeot de Lille », « Jacques Médecin, Le Niçois », « Chirac, maire de Paris », et « Georges Frêche, le dernier des grands maires » à Montpellier.


Jean-Victor Roux était déjà l’auteur d’un livre très bien écrit, sympathique et inattendu de la part d’un haut fonctionnaire : « La table, une affaire d’Etat », également publié aux Editions du Cerf, car Jean-Victor n’est pas qu’un expert des finances des collectivités mais aussi un épicurien passionné de gastronomie, petit-fils de vigneron, il exploite avec sa famille deux hectares de Châteauneuf du Pape, ceci explique cela. Le ton de son dernier livre est très libre et le style plaisant. Le point de départ de Jean-Victor Roux et l’explication de sa méthode, s’appuient sur le constat suivant : « il existe dans chaque ville une figure tutélaire, unanimement reconnue pour son importance, et qui a disposé, en plus de son mandat, d’une renommée nationale ». Les six maires sélectionnés ont marqué leur ville et ont tous occupé des fonctions ministérielles « à l’exception de Georges Frêche qui n’en fut pas moins une figure nationale ». Depuis 1945, les maires ont ainsi joué un rôle majeur dans la reconstruction puis dans le développement des villes. Jean-Claude Gaudin ne fait pas partie de la galerie de Jean-Victor Roux mais il est tout de même cité en introduction : « Vous comprenez jeune homme, on ne peut plus rien faire ! Maintenant ce sont des contrôles incessants : la légalité, la chambre régionale des comptes de Marseille, la Cour des Comptes de Paris… Et interdiction de se défendre dans la capitale : plus de cumul des mandats ».


Le premier portrait, celui de Gaston Deferre m’a rappelé mon enfance. Gaston Deferre s’intéressait aux enfants et leur parlait avec intérêt, quand il venait à la maison, il me faisait sauter sur ses genoux en commentant en détail mes dessins d’enfant. Sans aucune objectivité, je le reconnais, j’ai donc trouvé particulièrement ingrates les critiques de Jean-Claude Gaudin à l’égard de son prédécesseur disparu, car, on l’oublie souvent, Gaston Deferre a formé politiquement monsieur Gaudin comme me le rappellent régulièrement mes amis connaissant de l’intérieur l’histoire politique marseillaise. Jean-Claude Gaudin, « comme souvent… parle beaucoup mais ne dit pas grand-chose… on s’étonne d’un jugement si sévère sur son prédécesseur. Ses adjectifs bourgeois, autoritaire, s’éloignent du compliment » (JV. Roux). Pourtant les archives radiophoniques présentent Gaston Deferre comme un homme qui a « l’allure d’un Anglais, le sérieux d’un Allemand, le dynamisme d’un Américain et les faiblesses d’un homme qui se cherche ». Gaston qui a gagné Marseille par sa légitimité et son expérience de résistant, ne se déplaçait pas sans son pistolet mitrailleur Uzi, il a aussi été le dernier politique, rappelle Jean-Victor Roux, à se battre en duel. Gaston Deferre s’est lancé dans l’aventure présidentielle et à cette occasion, il recroise mon histoire familiale. Il veut être le candidat de la gauche en 1965 et est soutenu par l’Express fondé par Jean-Jacques Servan-Schreiber qui promeut une alliance entre le centre et la gauche pour battre le général de Gaulle. Or depuis 1953, François de Grossouvre était actionnaire de l’Express et ami de Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud. Mon père était aussi actionnaire majoritaire du Journal du Centre, pour préparer la conquête du pouvoir de François Mitterrand, et Jean-Louis Servan-Schreiber était également actionnaire de ce journal. Gaston Deferre fera campagne avec Pierre Mendes-France (qu’il promet de nommer à Matignon), alors que mon père connaissait Mendes depuis la guerre et a rencontré François Mitterrand par Mendes en 1960. Chaban était quant à lui en service commandé chez les centristes, rappelle Jean-Victor Roux, il débarque à Bordeaux en 1946, auréolé de son titre de général de brigade gagné à 29 ans dans la résistance. « Allez au parti radical, Chaban, c’est là que vous trouverez ce qu’il reste du sens de l’Etat », le général avait alors besoin de relais au parti radical. Si Bordeaux est bourgeoise, l’identité de Lille se confond presque avec le socialisme et la mémoire sociale, ouvrière et patriote, toutefois, aujourd’hui, les cadres et professions intellectuelles supérieures sont la catégorie la plus représentée dans l’ancienne capitale des Flandres. Grâce notamment au tunnel sous la Manche, au TGV et à Euralille, « le rougeaud de Lille » veut faire de sa ville une capitale européenne de l’Europe du Nord.


Sans surprise, maintenant que nous connaissons son tropisme culinaire et que nous savons qu’il travaille dans cette ville où il fait bon vivre , Jean-Victor Roux évoque longuement le livre de Jacques Médecin, « La bonne cuisine du comté de Nice » dans lequel il a codifié la recette de la salade niçoise, chaque année à Noël, l’ouvrage figure dans le top 5 des livres les plus vendus de la FNAC de la place Massena. « On dit que 12.000 niçois sont venus à l’enterrement de Jacques Médecin et que les communistes étaient en pleurs ». La personnalité controversée de Georges Frêche, le socialiste atypique et provocateur clôt la galerie de portraits, il résumait ainsi un mandat de maire : « N’est ce pas le BA-BA de la politique ? Les deux premières années vous devenez au maximum impopulaire, vous leur tapez sur le claque bec. Ah salaud, le peuple aura ta peau ! Moi je dis cause toujours, je vous emmerde. Ensuite pendant deux ans, vous laissez reposer le flanc, vous faites des trucs plus calmes. Et les deux dernières années, plus rien du tout, des fontaines, des bonnes paroles, des fleurs et je vous aime ».

Jean-Victor Roux


Le livre de Jean-Victor Roux retrace ainsi sans en avoir l’air, très sérieusement mais de manière plaisante, l’évolution du rôle de maire de la fin de la seconde guerre mondiale à aujourd’hui et les rapports des maires avec le pouvoir central. Il se demande si le président de la République comprend cette France des territoires qu’il a mise en scène et utilisé médiatiquement pour son Grand débat. Sous la Ve République, le pouvoir reste à l’Elysée et il semble avoir été recentralisé depuis l’élection d’Emmanuel Macron, en même temps le rôle des maires décline : « Le pouvoir des maires semble justement s’amenuiser. Si la décentralisation a pu constituer une manne financière pour les communes, surtout en ses vertes années, les temps changent… Les dotations de l’Etat ont connu une baisse inédite entre 2013 et 2017 et les ressources fiscales des communes se voient remises en question avec la suppression de la taxe d’habitation. Autre tendance lourde, l’heure est désormais à la coopération intercommunale ». Au système administratif et territorial français, issu de la révolution, et reposant sur le triptyque « maire, département, Etat » s’est en effet ajouté sans le remplacer, trois autres couches s’imposant progressivement au détriment des premières : les intercommunalités, les régions, et l’Union Européenne. Selon une récente enquête du CEVIPOF, 49% des maires souhaiteraient abandonner leur mandat, surtout parmi les plus âgés, mais 83% des Français ont une bonne image de leur maire ! Et pourtant le rôle et le pouvoir des maires décline. Quelle vont être les conséquences de la crise sanitaire et économique sur la fonction de maire ? On constate des tendances contradictoires, une nouvelle visibilité du rôle des élus locaux, dont le maire, un besoin renforcé de vie locale, de communauté locale, de circuit-courts. La loi 3D, décentralisation, différenciation, déconcentration accompagne ce mouvement de fond. Et en même temps la relance dans les territoires va être pilotée par l’Etat, avec la nomination de sous-préfets ad-hoc, on constate également une recentralisation de fait depuis plusieurs années. Nous vivons actuellement une période d’incertitudes, administratives, économiques, sociales, sanitaires, nous devons vivre avec et nous y adapter. L’étude des scénarios d’avenir est plus que jamais nécessaire. Je suis persuadé que le retour au territoire, accéléré par les nouvelles technologies et la crise sanitaire est une tendance de fond, une question de temps. Gardons à l’esprit pour concevoir et inventer l’avenir dont les spéculations ont été favorisées par le confinement, la forte charge émotionnelle et la permanence portée par les communes et les territoires. Jean-Jacques Ciccolini, maire socialiste de la commune corse de Cozzano, dans des propos magnifiques rapportés par Jean-Victor Roux, a saisi l’occasion rappeler à Emmanuel Macron la permanence incarnée par les communes et les maires : « Monsieur le président, la vie dans le haut village est faite de petits riens et l’addition ne fait jamais un grand tout. Le lien affectif, spirituel et viscéral avec le sol où s’enfoncent et se nourissent nos racines ne doit pas se dissoudre dans l’acétone de la rationalité administrative d’un monde monocorde… Le plus bel endroit du monde se trouve à jamais au pied du clocher qui nous a vu naître. Au portail de l’école de la République où nous avons appris l’essentiel des savoirs. Aux marches de la mairie où, pour ma part, comme d’autres ici, j’ai choisi de servir mon village et mes administrés ». Nous avons peut-être la possibilité de concilier, pour la première fois depuis longtemps, permanence, traditions et modernité.



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